Réforme Macron : les chômeurs ne pourront plus refuser une offre d'emploi à un salaire inférieur ( Marianne )

Rédigé le 09 janvier 2019

Lors de ses vœux, Emmanuel Macron a annoncé souhaiter "changer en profondeur les règles de l'indemnisation du chômage". Parmi les modifications dévoilées dans un décret publié le 30 décembre au Journal officiel, le fait qu'après deux refus "d'une offre raisonnable", l'allocation chômage sera supprimée pendant un mois.

La nuit de la Saint-Sylvestre, Emmanuel Macron a annoncé un changement "en profondeur des règles de l'indemnisation chômage". Hors de question d'attendre : la veille de son allocution, l'exécutif a déjà publié dimanche 30 décembre au Journal officiel un décret en ce sens. Au menu, des sanctions plus sévères que prévues pour les chômeurs... et, parmi elles, une surprise : les demandeurs d'emplois ne pourront plus refuser une offre d'emploi car elle engendre une baisse par rapport à leur précédent salaire. Ils risqueront en tout cas de lourdes sanctions...

UNE "OFFRE RAISONNABLE" OU "DÉCENTE"

"C'est une mesure qui est dans la droite ligne de la politique d'Emmanuel Macron, qui a toujours entendu valoriser coûte que coûte 'l'incitation au travail'", analyse Clémence Berson, chercheuse en économie du travail. Avec ce décret, Emmanuel Macron compte en effet mettre en place la pierre angulaire de sa réforme de l'assurance-chômage. A partir de deux refus d'une offre dite "raisonnable" ou "décente" d'emploi, les chômeurs devront faire face à des sanctions durcies. En quoi consiste exactement cette "offre raisonnable" ? L'expression découle d'une loi promulguée pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, en août 2008.

Dans sa mouture précédente, le décret définissait une offre raisonnable par "la nature et les caractéristiques de l'emploi ou des emplois recherchés, la zone géographique privilégiée" mais aussi par... le salaire attendu. Ainsi, quand un chômeur était inscrit sur la liste des demandeurs d'emplois depuis "plus de trois mois, (était) considérée comme l'offre d'un emploi compatible avec ses qualifications et compétences professionnelles et rémunéré à au moins 95 % du salaire antérieurement perçu". Ce taux évoluait avec le temps : il était ainsi porté à 85% après six mois d'inscription. Au bout d'un an, les demandeurs d'emplois se doivent d'accepter une offre équivalente aux allocations chômages perçues.

ACCROISSEMENT DES POUVOIRS DE PÔLE EMPLOI

"La disposition existait, mais elle n'a jusqu'à présent été que peu appliquée, avance Clémence Berson. En cas de contrôle, si contrôle il y a, il est toujours difficile de juger en quoi une offre est raisonnable ou décente. Les critères d'appréciations ne sont pas forcément absolus". Comment en effet, s'assurer que le demandeur d'emploi a bien refusé une offre compatible ou non avec ses qualifications et ses compétences professionnelles ? Dans le décret publié au Journal officiel ce 30 décembre, l'exécutif a établi un critère supplémentaire, en abrogeant "la définition du salaire antérieurement perçu qui était pris en compte pour déterminer l'offre raisonnable d'emploi".

Fini les seuils de 95%, 85% correspondant aux revenus précédents. Pour un chômeur, plus question de rejeter une offre si le salaire proposé est moindre que celui de son précédent travail. En clair, cela signifie que si vous gagniez 3.000 euros brut lors de votre dernier emploi, vous pourriez ne pas refuser... un emploi au Smic ! Car à partir du deuxième refus d'une "offre raisonnable", vous verrez votre allocation supprimée pour un mois. Si vous en rejetez deux nouvelles, celles-ci seront supprimées pour deux mois et pour quatre en cas de deux refus supplémentaires.

Le gouvernement durcit également les sanctions relatives à l'insuffisance de recherche d'emploi. A l'origine, l'exécutif avait pourtant évoqué en mars une suspension graduelle de l'allocation, permettant au demandeur de conserver ses droits. Cette dernière n'aurait alors été amputée qu'au deuxième manquement. A l'inverse, le décret actuel la "supprime" et ce dès la première fois. "Ce système risque de contraindre les demandeurs d'emplois à choisir des postes pour lesquels ils sont moins qualifiés. Il n'est pas certain que ce soit une bonne nouvelle, ni pour le bien-être des salariés, ni pour leur productivité", estime Clémence Berson.

UNE COMPENSATION POUR LES TEMPS PARTIELS ET LES CDD

Ce mardi 1er janvier, le député LREM Lionel Causse a affirmé sur BFMTV qu'une compensation existait : "Si un demandeur d'emploi accède à un emploi moins rémunéré, il sera dédommagé de la différence par le pôle emploi".Impossible de trouver trace de cette affirmation dans le décret rédigé par l'exécutif. Joint par nos soins, le député n'a pas été en mesure de nous diriger vers le texte correspondant, antérieur au décret selon lui, mais explique "qu'un de ses amis ayant pu en bénéficier (lui) en a parlé le week-end dernier".

Sur le site de l'Unedic, on voit qu'une telle disposition existe bien dans le Code du travail actuel et elle ne concerne... que les CDD et les temps partiels. Afin de faciliter le retour au travail, Pôle emploi permet effectivement de cumuler allocations chômage et salaire en cas de reprise partielle d'activité. Le service public verse une aide correspondant à l'allocation brute mensuelle de l'ex-demandeur d'emploi, auquel il faut soustraire 70% du salaire brut de son nouveau poste, le tout divisé par son allocation journalière. La somme de ces deux montants ne doit pas dépasser celui du précédent salaire du demandeur d'emploi. Ce "paiement de complément" est automatique : il se déclenche automatiquement dès que Pôle emploi est informé du nouveau statut du salarié. L'exécutif envisage-t-il d'élargir le dispositif ? Contacté, le ministère du Travail n'a pas encore donné suite à nos sollicitations.

UNE EFFICACITÉ DÉJÀ MISE EN DOUTE

Ne passe rendre à un rendez-vous avec un conseiller de Pôle emploi sera aussi matière à sanction. Et celle-ci est moins douce qu'annoncé. Alors qu'un demandeur d'emploi devait initialement n'être sanctionné que de quinze jours, elle sera à présent punie d'un mois en cas d'oubli, de deux au deuxième manquement, et de quatre au troisième manquement constaté. Jusqu'ici, une rencontre loupée entraînait une radiation de deux mois.

Le rôle de contrôleur et d'administrateur des sanctions reviendra tout entier à Pôle emploi, comme le révèle ce mercredi 2 janvier le journal Les Echos. Alors que ce contrôle était jusqu'ici dévolu à la direction régionale du ministère du Travail, il reviendra désormais aux agents du service. Pôle emploi qui n'avait jusqu'ici que la possibilité de suspendre l'indemnisation en cas d'absences aux convocations, verra donc ses pouvoirs accrus. Pour faciliter les contrôles, les demandeurs d'emplois devront tenir tous les mois "un journal de bord numérique". Ce dispositif devra être expérimenté pendant un an dans plusieurs régions. "En dépit de ces nouvelles mesures, il n'est pas sûr que le décret soit vraiment appliqué avec sévérité, estime Clémence Berson. Le texte laisse encore beaucoup de latitude aux contrôleurs quant à la définition d'une offre raisonnable. Je doute que Pôle Emploi soit vraiment capable d'être derrière chaque demandeur d'emploi pour vérifier."

Source : Marianne