Eté 1953 : 4 millions de grévistes font plier le gouvernement !

Rédigé le 05 janvier 2024

Qui a dit que les mois de Juillet et Août n'étaient pas propices aux luttes ?

La lutte des classes ne connaît ni trêve des confiseurs ni trêve estivale.

 

L'instabilité de la IVe République amène le 28 juin la formation du gouvernement de Joseph Laniel, un patron de droite. L'économie ralentit et la croissance s’essouffle tandis que la guerre froide bat son plein et que la guerre d'Indochine engloutit des milliards : en moins de 3 ans le budget militaire avait doublé et représentait 35% des dépenses de l’État.

 

Laniel impose un plan d'austérité en ciblant les travailleurs, le 11 juillet les députés lui accordent pour trois mois l’habilitation à légiférer par décrets-lois en matière économique et sociale. Ils autorisent notamment l’exécutif à modifier les conditions d’avancement et de départ à la retraite des fonctionnaires et personnels des services publics qui était alors à 65 ans pour les services sédentaires et à 58 ans pour les services actifs. Un certain nombre «d'actifs» que l'on aurait voulu transformer en «sédentaires» étaient menacés de devoir travailler sept ans de plus. Au chemin de fer, le gouvernement entend abroger le régime spécial de retraite et aligner les conditions de retraite des roulants sur celui des sédentaires. Les salaires étaient par ailleurs bloqués, et de très nombreux postiers auxiliaires, c'est-à-dire non-fonctionnaires, étaient menacés d'être licenciés. La procédure voulait que ces projets soient soumis par le gouvernement au Conseil supérieur de la Fonction publique qui devait se tenir le 4 août, le gouvernement comptant sur la démobilisation due aux congés du mois d'août pour faire passer le texte sans heurts.

 

Ce même jour, la CGT, le Syndicat autonome et la CFTC (la CFDT, qui en fut issue, n'existait pas encore) appelèrent à organiser des pétitions, des délégations et un débrayage d'une heure contre les décrets annoncés. FO s'était contentée le 3 août d'une mise en «état d'alerte» de ses syndicats.

 

Le 4 août donc, l'activité cessait dans la quasi-totalité des bureaux, des centres et des services postaux mais, comme il était prévu, le travail reprit au bout d'une heure, sauf à Bordeaux.

 

De Bordeaux, la grève s'étend et devient générale !

 

Là, réunis dans la cour de la poste principale, de nombreux facteurs exprimèrent leur désaccord avec la mollesse des dirigeants fédéraux. Un militant de FO, Jean Viguié, de tendance anarcho-syndicaliste, prit le micro et résuma la situation: «Seule une grève générale et illimitée, dit-il, peut aboutir à faire reculer le gouvernement» et conclut en disant: «Pourquoi ne la lancerions-nous pas ?». Les applaudissement fusèrent et tinrent lieu de vote.

 

Par téléphone, les postiers grévistes de Bordeaux avertissaient eux-mêmes leurs collègues, dans le reste du pays. Deux jours plus tard, la grève était générale dans les PTT et gagnait d'autres secteurs, concernés eux aussi par les décrets-lois.

 

Les centrales syndicales, qui n'entendaient pas que le mouvement leur échappe, appelèrent les fonctionnaires et les travailleurs de l'État à une grève d'avertissement de 24 heures le 7 août, un vendredi. A côté des postiers, les cheminots, les gaziers, le métro parisien, les mineurs, les ouvriers des Arsenaux et ceux de la Régie des tabacs avaient cessé le travail. Le lundi 10, la grève paralysait la Poste et les mines. Le lendemain, jour de publication des décrets-lois au Journal officiel, la grève rebondissait chez les cheminots.

 

La journée d'action du 7 août, proposée par les directions syndicales, devait, à leurs yeux, encadrer et fixer des limites au mouvement. Elle eut l'effet inverse, elle aboutit à sa généralisation dans tout le pays, à tous les services et entreprises publics. Les grévistes sont deux millions le 7 août et 4 millions une semaine plus tard. Partout des comités de grève intersyndicaux fleurissent. Les chemins de fer sont paralysés avec seulement 100 trains circulant sur 16 500, le téléphone ne fonctionne plus, le courrier et les ordures s'entassent...

 

Le gouvernement parie sur la répression : des bataillons de parachutistes occupent les centrales électriques, des blindés entourent les palais gouvernementaux, des camions de l'armée remplacent les bus, des détenus sont libérés pour faire office de jaunes, des militants syndicalistes sont arrêtés et condamnés, d'autres contraints à la clandestinité, des milliers d'ordres de réquisitions sont envoyés aux grévistes cheminots et postiers. Mais le gouvernement échoue dans toutes ses entreprises : les ordres de réquisitions sont ignorés ou finissent en feu de joie, les peines de prison ne sont pas appliquées, les provocations des jaunes et des militaires sont vaines et le moral et la détermination des grévistes se renforcent.

 

Les directions syndicales complètement dépassées par l'embrasement de la grève et son auto-organisation se ressaisissent : le 13 août, FO demande des négociations avec le patronat et le gouvernement, suivie le lendemain par la CGT et le surlendemain par la CFTC.

 

Le 20 août, un accord est signé avec FO et la CFTC, le gouvernement recule sur les retraites et les salaires les plus bas. De plus aucune sanction ne sera prononcée contre les grévistes qui ont ignorés ou refusés les ordres de réquisition. FO et CFTC appellent à la reprise et la CGT fustige « un coup de poignard dans le dos des travailleurs en lutte ». Mais peu de grévistes acceptent de reprendre le travail, l'accord est vague et les grévistes attendent des explications. Chez les cheminots notamment, on exige des garanties sur les sanctions et le paiement des jours de grève.

 

La grève restait puissante dans les secteurs décisifs. Pour autant, la CGT n'envisageait pas l'extension, ni l'élargissement de la grève. Pour la CGT, et le PCF qui l'animait et la dirigeait, il s'agissait de faire un baroud d'honneur démonstratif de leur influence. D'ailleurs le gouvernement décide justement de libérer plusieurs de ses dirigeants.

 

Démonstration faite, la CGT appela à la reprise du travail le 25 août, sans que les travailleurs obtiennent rien de plus. Mais le gouvernement avait dû remiser ses fameux décrets-lois et promettre d'augmenter les bas salaires. Les régimes de retraites sont conservés, en septembre une prime spéciale concrétise les augmentations promises tandis que sur les deux années suivantes les salaires augmenteront de 14%.

 

C'est ainsi que les travailleurs unis et déterminés ont réussi, en pleine période de congés payés, à faire reculer un des gouvernements les plus ouvertement réactionnaires et anti-ouvriers de l'époque.

 

Source SUD-Rail Périgueux